Suspensions VTT : la résurrection du ressort hélicoïdal, hype ou retour aux sources justifié ?

Il fut un temps où les choses étaient simples. Pendant des années, n’importe quel VTT, du cross-country à l’all-mountain, était équipé de suspensions à air. Seules exceptions : les fourches très bas de gamme, et le monde de la descente. Puis, avec l’endurisation (!) du vélo de montagne, le ressort s’est petit à petit invité sur le devant de la scène, jusqu’à devenir depuis un an ou deux un produit phare chez certaines marques qui poussent son développement.

Dans les esprits, le ressort est définitivement tendance et un signe extérieur d’endurobro-attitude. Mais qu’en est-il dans la pratique ? Le ressort à air est-il dépassé par ces nouvelles suspensions qui laissent s’exprimer le bon vieux bout de ferraille en forme de tire-bouchon ?

 

Les bases : de l’utilité du ressort


Commençons par le commencement. Une fourche ou un amortisseur utilisent pour fonctionner un circuit hydraulique et un ressort au sens large. Lors de la compression, le ressort absorbe l’énergie du choc, pour la restituer lors de la détente. Le circuit hydraulique a pour premier rôle de maîtriser cette action, sans quoi après un choc vous seriez immédiatement projeté dans le sens inverse, direction la lune, ou à défaut le sapin que vous n’aviez pas vu en bord de single.

Ce ressort peut être hélicoïdal (c’est le ressort à spires que l’on connait tous) ou à air (autrement appelé pneumatique). Dans ce dernier cas, on dispose d’une chambre hermétique où l’air va être comprimé par un piston lors de l’enfoncement du plongeur. Lors de sa compression, l’air va opposer de plus en plus de résistance, ce qui donne à un ressort à air une courbe d’amortissement progressive, contrairement à un ressort hélicoïdal dont la courbe d’amortissement est linéaire. Nous reviendrons sur ce point un peu plus loin.

 

Air ou ressort hélicoïdal : quelles différences ?


Avant de parler ressenti, commençons par les différences techniques.

L’utilisation massive de ressorts à air n’a rien d’anodin, tant la solution regorge d’avantages fonctionnels pratiques.

Le point positif majeur du ressort à air est la possibilité qu’il offre de se régler aux petits oignons avec un investissement en matériel et en temps imbattable. Là où il faut physiquement changer un ressort acier pour ne serait-ce que régler son sag, quelques coups de pompe haute pression suffisent pour ajuster la quantité d’air. Là où le ressort hélicoïdal impose son caractère linéaire, il est possible sur la version air de modifier la courbe d’amortissement en adaptant le volume à l’aide de cales.

A cela s’ajoute un poids plume, l’air étant contre toute attente bien plus léger qu’un morceau d’acier enroulé en spirale.

De son côté, le ressort hélicoïdal a pour lui une sensibilité que le ressort à air a bien du mal à égaler, malgré les progrès importants réalisés au fil du temps. Le ressort à air embarque davantage de joints pour assurer son étanchéité et fait face en début de course à une résistance bien supérieure, d’où l’utilisation de systèmes de ressort négatif.

Autre point positif, il ne souffre pas de fading, ou perte de sensibilité dans les longues descentes due à l’échauffement du système. En effet, l’énergie absorbée par la suspension lors d’un choc est dissipée sous forme de chaleur. Sur un ressort à air, ce dernier s’échauffe, et cours de physique de seconde à la rescousse, la pression augmente, ce qui “durcit” la suspension. Sur un ressort en acier, les deux circuits sont totalement séparés, et le ressort ne subit jamais cette surchauffe.

Un autre type de fading concerne la partie hydraulique et a l’effet inverse, mais on s’arrêtera là pour aujourd’hui. Je vous épargne également les ramifications du processus adiabatique qui survient lors des compressions à très haute vitesse sur un amortisseur à air.

Ressort à air :

  • Plage de réglages très élevée
  • Poids inférieur

Ressort hélicoïdal :

  • Meilleure sensibilité
  • Grande résistance à la surchauffe

Outre ces points techniques, en pratique le ressort est apprécié pour la traction qu’il confère. Avec un amortisseur à ressort qui marche bien on a vraiment l’impression que la roue arrière est scotchée au sol. L’amortisseur à air, lui, offre de manière générale plus de pop sur les appels, un ressenti plus vivant, moins glué au sol.

 

Linéarité et progressivité


Comme on vient de le voir, le ressort hélicoïdal est linéaire (sauf modèles exotiques custom), c’est à dire que la force supplémentaire à exercer pour l’enfoncer d’une longueur donnée est identique sur toute sa longueur. Par exemple, en début de course, s’il faut 50kg pour l’enfoncer d’un centimètre, il en faudra 50 de plus, soit 100, pour deux centimètres, et encore 50 de plus, soit 150, pour trois centimètres.

La courbe d’amortissement résultante peut être représentée par une droite, comme sur le schéma ci-dessous, honteusement emprunté à mon article sur le réglage de suspensions.

 

Suspensions VTT - Pré-contrainte

 

Un ressort à air est lui progressif. Plus l’on avance dans le débattement, plus il faut de force supplémentaire pour l’enfoncer d’une longueur donnée. Si l’on reprend notre exemple de 50kg pour un centimètre, il faudra peut-être 110kg pour deux centimètres et 180kg pour trois centimètres.

Ce caractère progressif est dicté par la réduction du volume de la chambre au fur et à mesure que l’on consomme du débattement. Plus l’on réduit ce volume, plus la progressivité augmente. Cette propriété suit la loi de Boyle-Mariotte (oui, j’ai du aller repêcher le nom sur wikipédia) qui spécifie qu’à température constante la pression est inversement proportionnelle au volume.

D’où l’utilité des cales ou tokens de réduction de volume. Avec un amortisseur à gros volume, sans cale, on obtient une courbe d’amortissement presque linéaire. Avec un amortisseur à petit volume et beaucoup de cales, on retrouve un caractère très progressif.

 

Courbe d'amortissement avec tokens

 

 

Un avantage conséquent à cette progressivité ajustable est de pouvoir dissocier le comportement du ressort en début et fin de course. Il est possible d’avoir une suspension souple en début de course mais très difficile à talonner sur les gros impacts, et ce, très facilement.

Avec un ressort hélicoïdal, ce réglage est impossible et l’on est tributaire du tarage du ressort, avec le risque d’avoir une suspension qui talonne trop facilement ou qui s’avère au contraire peu sensible en début de course. On peut alors au mieux régler la partie hydraulique pour des ajustements à la marge, mais ils ne feront pas de miracles, et à moins de se lancer dans des ajustements internes on reste tributaire du factory tuning et du nombre de réglages externes disponibles.

 

Suspension arrière et cinématique


L’upgrade d’un amortisseur à air vers un amortisseur à ressort a le vent en poupe. Mais il est loin d’être anodin.

Contrairement à une fourche qui est un système indépendant du reste du vélo, la suspension arrière allie un amortisseur à un système de pivots et biellettes plus ou moins complexe au niveau du cadre. Cet ensemble définit la cinématique de la suspension, qui dicte entre autres la courbe d’amortissement résultante. Contrairement à une fourche où le débattement de la roue est égal au débattement de la fourche, sur une suspension arrière ces deux éléments sont dé-corrélés.

On trouve trois grandes catégories :

  • Linéaire : pour un débattement donné au niveau de la roue, la course consommée au niveau de l’amortisseur reste plus ou moins identique tout au long du débattement, donc la force nécessaire pour avancer dans le débattement reste identique.
  • Régressive : la force nécessaire pour consommer du débattement diminue au fur et à mesure que l’on avance sur celui-ci. Il faut donc proportionnellement moins de force pour enfoncer la suspension en fin de course qu’en début de course.
  • Progressive : la force nécessaire pour consommer du débattement augmente au fur et à mesure que l’on avance sur celui-ci. Il faut donc proportionnellement plus de force pour enfoncer la suspension en fin de course.

Les cinématiques linéaires et progressives sont les plus courantes. Certains systèmes complexes plus rares conjuguent deux caractères différents, comme c’est le cas chez Evil : progressive en première moitié de course, puis linéaire.

Bref, vous l’aurez compris, la courbe d’amortissement du système de suspension arrière dans son ensemble est donc la résultante du duo cinématique + amortisseur.

Un VTT à la cinématique linéaire qui fonctionne très bien avec un amortisseur à air dans lequel on a mis beaucoup de cales pour réduire le volume et augmenter fortement la progressivité peut devenir un cauchemar avec un amortisseur à ressort beaucoup trop linéaire.

Inversement, si vous avez une pratique relativement tranquille sur une machine très progressive où vous utilisez déjà un amortisseur à air avec un gros volume que vous talonnez très rarement, passer au ressort est une option tout à fait viable.

D’après Chris Mandell, Rear Shock Product Manager chez SRAM, la progressivité minimum d’un cadre pour fonctionner correctement avec un amortisseur à ressort est la suivante :

  • Trail : 10-12%
  • DH : 18%+
  • DH Pro : 30%+

 

Sur le terrain : avantages et inconvénients


Dans la dernière partie de cet article, je vous propose deux visions de l’affrontement air versus ressort. D’un côté, une esquisse de ce qui est utilisé au plus haut niveau. D’un autre, mon expérience personnelle et mon avis assez tranché sur le sujet.

Si l’on remonte quelques années en arrière pour s’intéresser à ce qui se passe en coupe du monde de descente et sur le circuit EWS en enduro, la situation est assez amusante. On trouve d’une part une discipline où le ressort était roi avant de devenir une des deux options viables, et de l’autre un format de compétition qui a rapidemment pris de l’ampleur, où l’amortisseur à air régnait, avant, lui aussi, de devenir une des deux options possibles.

Il faut dire qu’historiquement, l’air n’était pas une option en DH, tout simplement parce que les modèles n’étaient technologiquement pas aboutis. L’enduro est lui beaucoup plus jeune et a émergé d’un marché mainstream où les suspensions à air étaient implantées depuis longtemps.

Aujourd’hui, il ne semble pas y avoir de consensus. Certains rideurs préfèrent encore le ressort. D’autres l’air. Mais la majorité, et c’est d’autant plus vrai en DH où de multiples runs de test sont possibles sur un week-end, est prête à passer de l’un à l’autre selon le tracé et les conditions. La précarité du grip sur certains passages ou le besoin d’encaisser de gros impacts peuvent faire pencher la balance.

L’approche des différents rideurs est aussi bien différente. Certaines teams utilisent beaucoup la télémétrie. D’autres sont très axés sur le feeling et leurs réglages et choix entre air et ressort hélicoïdal varient largement d’un run à l’autre.

Enfin, n’oublions pas que pour les pros, le réglage de suspensions est avant tout fait pour obtenir un vélo le plus rapide possible sur un tracé précis. Pour le commun des mortels, mis à part les irréductibles chasseurs de KOM, rider est avant tout une activité fun et avoir un vélo facile à vivre et qui procure du plaisir dans toutes les circonstances est bien plus important que gagner quelques dixièmes de seconde dans un pierrier.

En ce qui me concerne, je suis devenu fortement anti-ressort. Pour la petite histoire, je roule en DH sur un Tues qui a une cinématique parmi les plus progressives sur le marché. Alors équipé en Boxxer Team RC (ressort) et Vivid R2C (ressort), j’ai toujours eu une relation compliquée avec mon partenaire à deux roues, coincé entre des facultés de franchissement impressionnantes et des suspensions in-réglables.

Avec un ressort de 250 lbs/in d’origine, le vélo était un monstre de grip. Seul problème, j’avais déjà les talons qui touchaient dans les berms. Après être passé à un ressort de 300lbs/in pour obtenir un sag à 25-30%, je me suis retrouvé avec le pire des deux mondes. Une sensibilité mauvaise en début de course avec l’impression d’avoir toujours trop de LSC, et une suspension qui continuait à talonner prématurément. Le Vivid R2C et ses cinq crans de réglage de compression basse vitesse ne m’ont jamais été d’une grande aide, et ce modèle représente pour moi le pire qui puisse arriver à un amortisseur : étrangler un ressort en le privant de réglages efficaces.

 

VTT - Drops : position réception
Talonner après être passé au-dessus d’une vulgaire souche : check.

 

Côté fourche, même constat ou presque : bien réglé en fin de course, je n’ai jamais trouvé une sensibilité convenable en début à milieu de course.

J’ai au fil du temps roulé plusieurs amortisseurs à ressort, dont certains fonctionnaient bien mieux que le Vivid, même avec un ressort sous-dimensionné ou sur-dimensionné. Je ne suis pas vraiment un traumatisé du ressort, loin de là, mais j’ai fini par faire un constat simple.

Quand le ressort marche, il marche bien. Vraiment bien. Mais quand ça ne marche pas parce que le vélo n’a pas une cinématique adaptée ou qu’il manque des réglages, ça ne marche vraiment, vraiment pas.

A l’opposé, il est très facile de bien faire marcher un amortisseur à air. Un coup de pompe suffit là où il faut acheter plusieurs ressorts et expérimenter pour trouver le bon. Vous partez sur une longue rando à la journée avec un sac de 10kg alors que vous avez pour habitude de rouler sans sac ? Un coup de pompe, et c’est partit. Vous voulez prêter votre vélo à votre pote qui fait 20kg de plus que vous ? Un coup de pompe, et c’est partit. Vous voulez ajuster votre nouvel amortisseur à la cinématique du vélo ? Quelques tokens dans la chambre, et c’est réglé.

L’amortisseur ou la fourche à air sont tout simplement infiniment plus faciles à vivre pour des performances au même niveau que ce bon vieux ressort en acier. Le hype train qui s’élance en direction du ressort mérite d’être déraillé aussi vite que possible. Passer de l’air au ressort est un choix qui doit être bien réfléchi, et ne convient définitivement pas à tout le monde.

 

Le mot de la fin


Après cette note pessimiste, il est temps de conclure sur un constat plus nuancé.

Air et ressort sont simplement différents l’un de l’autre. L’un n’est pas meilleur que l’autre, et si vous le pouvez, n’hésitez pas à essayer pour trouver la solution qui vous convient le mieux. En ce qui me concerne, l’amortisseur ultime ressemble davantage au Fox X2. Mais si vous vous apprêtez à casser le cochon en porcelaine et sacrifier vos maigres économies pour le ressort magique, préparez-vous à potentiellement être déçu. Il n’a définitivement rien de magique, et demande souvent un investissement plus important en temps et en argent pour fonctionner de manière optimale.

 

Pour aller plus loin et découvrir ce que les principales marques du marché proposent :

 

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Sébastien

Papa de Glisse Alpine et homme à tout faire depuis 2016. Rideur. Editeur. Photographe. Développeur. SysAdmin. Web Perf. SEO. Marketing. Café.

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2 commentaires sur “Suspensions VTT : la résurrection du ressort hélicoïdal, hype ou retour aux sources justifié ?

  • 15 mai 2019 à 22 h 03 min
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    Excellent article, comme d’habitude !
    Laurent ( Maures Gravel – Bike Café )

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