YT Industries en difficulté : histoire et déboires

Le 16 juillet 2025, YT Industries annonçait via son PDG et fondateur Markus Flossmann que l’entreprise entrait dans une procédure de restructuration légale en auto-administration selon le droit allemand. Bref, ça va plutôt mal pour la marque teutonne, qui va tenter via cette procédure de stabiliser ses finances, réduire sa dette et attirer de nouveaux capitaux pour éviter la faillite complète.

Je vous propose ici de faire le point sur la situation en revenant sur le contexte actuel, l’histoire de la marque et pourquoi il s’agit d’un événement significatif dans le paysage économique du vélo de montagne.

 

YT Industries, figure de proue du vélo de montagne des années 2010


Aaron Gwin - YT Tues - SoCal

Fondée en 2006 puis renommée en 2011, Young Talent Industries, généralement abrégée YT, a connu son heure de gloire à partir du milieu des années 2010. Connue de tous ceux qui s’intéressent de près au vélo de montagne, elle s’avère pourtant en marge des marques distribuées via le classique schéma des distributeurs physiques. De ce fait, elle suscite encore la surprise chez des pratiquants qui suivent peu l’actualité de notre sport et se cantonnent aux marques plus classiques que l’on retrouve en magasin.

En effet, dans les années 2010, deux marques connaissent une croissance explosive à travers le modèle de la distribution directe en ligne : Canyon et YT. Toutes deux allemandes, et toutes deux basées sur un modèle économique reposant sur un schéma de distribution aussi direct que possible éliminant au maximum les intermédiaires.

« Certains diront que ce modèle de distribution n’est pas le seul responsable des prix plancher affichés par ces marques… »

Certains diront que ce modèle de distribution n’est pas le seul responsable des prix plancher affichés par ces marques, et que certains composants exhibaient et exhibent aujourd’hui encore une qualité au rabais. C’est peut-être le cas dans une certaine mesure, les roulements OEM de mon Tues 2015 ayant clairement présenté une durée de vie abyssale. Est-ce pour autant un constat à généraliser ? Pas sûr, car malgré quelques problèmes de peinture et des points faibles sur les cadres carbone de Capra au milieu des années 2010, la marque ne semble pas traîner davantage de casseroles que la moyenne. Malgré un set de composants SRAM aux performances plus que douteuses remplacés au fil du temps et les roulements d’origine de piètre qualité, mon brave Tues est encore en un seul morceau, malgré bon nombre de chutes et quelques couches de carbone en moins sur le triangle arrière.

Quoi qu’il en soit, les prix affichés par la marque à cette époque, stupéfiants, en firent rapidement une option de choix pour celles et ceux prêts à passer à la vente directe. A l’époque de l’achat de mon Tues, le prix d’un vélo complet pouvait se révéler inférieur au prix publique de la somme de ses composants. Un constat incroyable quand d’autres marques vendaient, et vendent encore, un cadre seul au prix de vélos complets.

« On n’achetait pas un Capra ou un Jeffsy uniquement pour leur prix… »

Mais cet engouement n’était pas seulement le fruit d’une équation économique avantageuse. On n’achetait pas un Capra ou un Jeffsy uniquement pour leur prix, mais parce que ces modèles étaient de vrais bons vélos de montagne. Un constat qui fit rapidement le tour des internets et bâtit leur réputation à la vitesse d’un feu de paille. Le Capra devint vite une référence en Enduro, le Jeffsy un des premiers trail bikes / AM 29″ convaincant, et le Tues remportait alors régulièrement des manches de coupe du monde de descente pendant les quelques incroyables saisons d’Aaron Gwin précédant son départ pour Intense, avec des titres overall en 2016 et 2017. Même le lancement du Decoy en 2019 fut un réel succès encensé tant par la critique que ses utilisateurs malgré une configuration de roues audacieuse.

Ainsi, plus que la réussite d’un modèle économique bien ficelé, c’est celle de vélos bien conçus et d’une stratégie marketing ambitieuse qui fit le succès de la marque. Canyon connu également un succès économique certain, mais elle progressa sur le marché du VTT dans l’ombre de YT qui fut propulsé sur le devant de la scène, tant par des riders emblématiques comme Andreu Lacondeguy, Cam Zink ou Aaron Gwin, que des opérations marketing mémorables comme celle du lancement du Jeffsy en 2017.

Bref, dans les années 2010, YT parvint en termes de mind share à se positionner comme un acteur incontournable du secteur, au même titre que des géants comme Specialized, alors que la marque n’avait été lancée que quelques années auparavant, avec un premier vélo commercialisé en 2008. Son modèle de vente directe, en plus de ses investissements dans des athlètes iconiques, lui ouvrirent la porte d’un marché international que d’autres marques établies depuis des décennies tant d’un côté ou de l’autre de l’atlantique n’avaient su conquérir.

 

VTT et vélo de montagne : une industrie en difficulté


Le marché du VTT connait actuellement un classique phénomène de « boom and bust », renforcé par une conjoncture économique défavorable et une innovation en berne.

De 2020 à 2022, la crise du Covid s’est transformée en ruée vers l’or pour l’industrie du cycle dans son ensemble. Et ce, à travers de multiples facteurs. Le nombre de pratiquants a explosé : après des mois de confinement et l’interdiction de nombreuses activités, la volonté de s’évader et fuir la pandémie fit du VTT une activité parfaite dont la prescription était toute indiquée. Le vélo comme moyen de transport connu également un essors fulgurant, permettant de fuir les transports en commun propices à la contamination tout en prenant l’air avant de retourner entre quatre murs face à une armée de masques bleus et blancs. Enfin, on se trouvait alors en plein boom du VTTAE. Arrivant enfin à maturité, le format ne pouvait trouver de terrain plus propice pour s’insérer sur un marché où la demande dépassait alors largement l’offre, grâce notamment à l’afflux de nouvelles cohortes de pratiquants.

Les fabricants et assembleurs se trouvèrent alors face à un dilemme : augmenter substantiellement la production pour répondre à cette demande, sans garantie sur sa pérennité, ou continuer sur un rythme normal, en anticipant un déclin à terme de ladite demande. Logiquement, la vaste majorité d’entre eux optèrent pour une hausse de la production, la situation étant d’autant plus difficile à jauger que les chaines d’approvisionnement étaient également en pleine tourmente. Entre pénuries, navires aux abonnés absents, entrepôts tantôt vides, tantôt pleins, fournisseurs dictant leurs prix face à une demande en pleine explosion, quelle que soit l’industrie, la situation fut pendant quelques années extrêmement difficile à jeauger.

« Il est toujours difficile de faire machine arrière. »

Le hic, c’est qu’en plus d’encaisser l’instabilité, il est toujours difficile de faire machine arrière. Que ce soit en termes de contrats, d’infrastructure, d’investissements, de résultats, une régression de la demande pose de très nombreux problèmes. Augmenter si rapidement la production au niveau mondial demande des investissements bien plus importants qu’une augmentation lente sur plusieurs années, entraînant des coûts alors justifiables mais difficilement récupérables lorsque le contexte économique se retourne. Trouver des capitaux est aisé lorsque les ventes explosent, mais devient un cauchemar lorsqu’elles retournent à un niveau normal, voir inférieur à la normale. Quelques années après le début du boom, les marques se retrouvent aujourd’hui avec une capacité et des stocks importants de vélos qui devaient se vendre à bon prix, qu’elles doivent maintenant écouler coûte que coûte avec une marge de manœuvre réduite.

Bref, cette très rapide expansion du marché, suivi de la retombée du soufflé, est sur le plan économique une épreuve bien compliquée à traverser. D’autant plus que les problèmes ne s’arrêtent pas là.

Outre un contexte économique inflationniste ayant tendance à faire grimper les prix tout en réduisant le budget des pratiquants, le cataclysme de l’année touchant un très important nombre d’industries est clairement celui des droits de douane imposés, ou pas, par les Etats-Unis. En plus de droits de douane s’élevant à des niveaux menant parfois à la fermeture totale du marché US aux marques non-américaines, l’incertitude face à des annonces changeant d’heure en heure ainsi que des hausses de prix fulgurantes dues à l’import de pièces provenant d’un marché mondial ont un impact sur toutes les marques dont une part importante des revenus provient du marché US. Pour YT, qui comme expliqué précédemment connu un succès rapide notamment via la conquête de ce marché, c’est un coup dur supplémentaire.

« L’innovation sur le marché du VTT est dans le creux de la vague. »

Enfin, s’il fallait encore une raison supplémentaire pour faire baisser la demande, l’innovation sur le marché du VTT est dans le creux de la vague. J’en parlais déjà fin 2019 : après une dizaine d’années de bonds technologiques et d’expérimentations qui transformèrent les performances et l’agrément de nos machines, les améliorations aujourd’hui proposées sont au mieux très incrémentales, au pire de purs exercices marketing. Alors que remplacer à la fin des années 2010 une machine achetée dans la première partie de celles-ci permettait un bond dans une autre dimension, remplacer en 2025 un vélo de 5 à 8 ans offre sur le plan des performances un gain très faible. Même le marché du VTTAE a opéré une transition entre évolution fulgurante et stabilisation relative.

L’industrie du VTT se trouve donc aujourd’hui dans un maelstrom parfait, un tourbillon dont il semble impossible de s’échapper, qui aspire la demande et fait stagner un marché atone. Pour nous pratiquants, les prix restent élevés et l’attrait de nouveaux modèles réduit. Le marché de l’occasion jouît encore sur certains segments d’une offre importante résultant de la situation post-pandémique, offrant une motivation supplémentaire à ne pas opter pour le neuf. Pour les marques, la ruée vers l’or est terminée, et la cuite est bien difficile à faire passer.

 

YT Industries dans la tourmente


Markus Flossmann - YT

YT est donc entré dans une procédure de restructuration légale en gestion propre, démarche volontaire visant à réorganiser l’entreprise et attirer de nouveaux capitaux. Si cette procédure ne nomme pas les termes qui font peur, elle semble bien associée à une déclaration d’insolvabilité, cette procédure en auto-administration signifiant uniquement que le management de YT restera aux commandes lors de la restructuration plutôt que celle-ci soit menée par un administrateur tiers. Une autre façon de dire que si les choses ne changent pas chez la marque d’outre-Rhin, et elle dispose de trois mois pour ce faire, les opérations ne peuvent continuer et la faillite complète pointera tôt ou tard le bout de son nez.

Sans surprise, nos voisins teutons justifient cette décision en évoquant une conjonction de facteurs qui collent aux problématiques actuelles de l’industrie expliquées précédemment : une guerre des prix qui réduit les marges à peau de chagrin ; des stocks surdimensionnés dus aux ralentissements de la chaîne d’approvisionnement, des perturbations chez les fournisseurs, et une demande instable ; une instabilité persistante sur le marché américain aggravée par les droits de douane et des conditions économiques défavorables. YT cite également la défaillance d’un fournisseur clé causant des retards et des problèmes de qualité à un moment critique, facteur direct menant à la crise actuelle.

Certains argueront que des raisons plus profondes peuvent avoir pesé dans la balance, comme la vente par Markus Flossmann, fondateur et PDG de la marque, en 2021, d’une partie de ses parts à Ardian, une société française de capital-investissement (private equity) gérant quelques 114 milliards de dollars, ayant alors de facto pris le contrôle de la marque. Son retrait du rôle de PDG en 2020, avant son retour en 2024. Ou encore le lancement en 2022 d’un modèle destiné au gravel, le Szepter, à l’opposé complet des racines de la marque ayant fondé son image et son succès sur les pratiques les plus gravity, tangentielles au freeride, forte de son slogan « Live Uncaged ».

En attendant, la situation est avant tout critique pour les riders ayant passé commande récemment. Si le site web de la marque continue d’afficher des promotions alléchantes, les retours alarmants sont de plus en plus nombreux sur les internets : vélos non livrés, remboursements suspendus, lignes téléphoniques injoignables et e-mails sans réponse.

 

Le mot de la fin


YT se trouve donc aujourd’hui dans une situation périlleuse. En plus des difficultés financières la plaçant dans la tourmente et du pivot à effectuer pour en sortir, le manque de transparence récent sur sa capacité à livrer des vélos et son incapacité à rembourser ceux non livrés risque, dans le cas d’une reprise d’activité réussie, de peser sur son image de marque.

Malgré le nombre grandissant de faillites dues au contexte économique actuel auquel on s’était habitué, les déboires d’une marque de l’envergure de YT constituent un marqueur fort venant nous rappeler que les choses vont mal. D’autant plus que d’autres nous vendent le modèle de vente directe comme un antidote à la crise.

S’il est facile de blâmer dans son ensemble l’industrie du VTT pour son supposé profit de la situation résultant de la pandémie en pointant du doigt par exemple les hausses de prix, nombreux sont ceux qui se souviendront que la marque défrayait il y a dix ans déjà la chronique en offrant des vélos performants à des prix alors imbattables. J’arguais notamment en 2020 dans mon guide d’achat basé sur les configurations de composants proposées que « YT propose des configurations à prix plancher très alléchantes qui permettent d’avoir un vélo très correct pour un budget réduit tandis que Lapierre ou Specialized semblent franchir la ligne rouge en voulant pousser cette réduction de budget un peu trop loin« .

Bref, il ne reste plus qu’à espérer que la marque s’extirpe de cette passe difficile d’une manière ou d’une autre, tant parce qu’elle fait partie intégrale de l’histoire récente du VTT, que parce que son positionnement très agressif sur le plan tarifaire a constitué et constitue encore un point de référence salutaire quand les prix s’envolent chez d’autres marques.

 

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Sébastien

Papa de Glisse Alpine et homme à tout faire depuis 2016. Rideur. Editeur. Photographe. Développeur. SysAdmin. Web Perf. SEO. Marketing. Café.

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Un commentaire sur “YT Industries en difficulté : histoire et déboires

  • 18 juillet 2025 à 10 h 07 min
    Permalien

    Top article
    Qu’en est il des situations de canyon, qui est sur le même modèles ?
    De Commencal qui vend principalement en Amérique, l ́Andorre subira t elle des droits de douane ?

    Cette crise ne va t elle pas épuré le système ?
    J’ai toujours été étonné du nombre de marques qu’il existait dans le vtt et comment elles pouvaient vivre au vu du nombre restreint de leur ventes.

    Répondre

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